Le Cultural Operating System

L’entreprise productrice de modèles culturels dans un monde de récits superposés
Au sein d’un monde fragmenté où se superposent idéologies, religions, technologies, les entreprises leader se transforment en producteurs de modèles culturels. Leur rôle : maintenir la cohérence et dominer la bataille du sens.
Exister au sein d’une société de récits superposés
Durant des siècles, le sens s’organisait autour d’une centralité dominante. La religion, l’État, l’idéologie politique et économique : chacun portait son récit, sa promesse, son cadre et était suivi par les diverses communautés en quête de cadre et de but. Le XXIᵉ siècle a fissuré cette cohérence, laissant un sentiment de flou, d’incertitude, parfois de chaos, balayé par les micro et macro événements de l’actualité et des porteurs d’influence.
Loin d’avoir disparus, les récits collectifs se sont entrelacés, granularisés et démultiplés. Face à cette pluralité, on peut être tentés de catégoriser les modèles culturels en 3 familles :
- Les modèles d’habitation et d’appartenance.
- Les modèles de maîtrise
- Les modèles réparation et soin
Les modèles de maîtrise
La Maîtrise incarne le modèle culturel qui conçoit le monde comme un espace à transformer, optimiser ou dépasser. Elle repose sur l’idée que le réel est perfectible : la technologie, la science, la planification et l’ingénierie peuvent corriger nos limites, étendre nos capacités et repousser l’horizon de la condition humaine.
Cette famille mobilise une éthique de la puissance : vitesse, conquête, optimisation, et une vision du progrès comme dépassement permanent. Elle génère des récits héroïques (exploration spatiale, transhumanisme, IA forte), des architectures de rationalité et des dynamiques d’action centrées sur l’innovation et l’ambition.
Exemples de modèles : accélérationnisme efficace, éco-modernisme, transhumanisme, capitalisme de plateforme, capitalisme de surveillance, évasionnisme, consumérisme, etc.
En bref : la Maîtrise est la culture de l’expansion du possible, là où l’humanité s’imagine plus rapide, plus performante ou plus vaste que ce qu’elle est aujourd’hui.
Les modèles de réparation et soin
La famille Réparation & soin voit le monde comme un ensemble fragile d’interdépendances.
Elle repose sur un imaginaire du vivant où l’enjeu premier n’est pas de dépasser la nature mais de la préserver, de la restaurer et de la maintenir habitable.
Ce modèle s’attache aux limites, aux vulnérabilités, aux continuités : réparer plutôt que remplacer, régénérer plutôt que consommer, prendre soin plutôt que croître.
Il valorise les gestes concrets, les temporalités longues, les circulations frugales, les équilibres socio-écologiques.
Son moteur culturel est la responsabilité partagée, envers les humains, le vivant non-humain et les générations futures.
Exemples de modèles : écologie régénérative, post croissance/décroissance, économie du care, justice climatique, circularité et réparabilité, low tech, survivalisme, minimalisme, robustesse, résilience, etc.
En bref : réparation & soin, c’est l’art d’habiter la Terre en gardien, avec modestie, lucidité et régénération comme horizon.
Modèle d’habitation et appartenance
La famille habitation & appartenance considère le monde comme un milieu à vivre ensemble, plutôt qu’un système à corriger ou un défi à conquérir. Elle met l’accent sur les lieux, les communautés, les cultures et les relations. Elle cherche à rendre les environnements (villes, organisations, territoires, réseaux) plus habitables, plus proches, plus justes.
Ce modèle s’enracine dans l’idée que le sens émerge des liens : liens humains, liens au territoire, liens culturels. Il s’incarne dans des récits de proximité, de diversité, d’inclusion, de continuité culturelle, de convivialité.
C’est une culture des milieux plutôt qu’une culture des performances.
En bref : habitation & appartenance est l’art de faire monde ensemble, en créant des lieux, des communautés et des récits où il fait bon rester.
Exemples de modèles : slowlife, nouvelles proximités, ville monde, économie de la solidarité, cosmopolitisme, civilisationnalisme contemporain, soft power culturel, culture du « co », communautés locales, communautés coopératives, etc…
Ces 3 familles, sont certainement non exhaustives et dans de prochains articles nous les explorerons plus en profondeur. Ce qu’il est essentiel de retenir ici, c’est qu’à l’échelon d’une entreprise, il n’est plus suffisant de proposer une vision, une mission, à ses collaborateurs pour les engager, car ils sont tous en permanence influencés, « ballotés », traversés par l’ensemble des modèles qui se disputent l’influence. Cela est également valable pour vos clients, vos partenaires, renforçant l’imprévisibilité des échanges avec eux.
C’est pourquoi, il est nécessaire de savoir diagnostiquer les appartenances conscientes ou non de ses équipes, et construire une stratégie adaptée.
Le Cultural Operating System, boussole dans le flux
Quelle le sache ou non, chaque organisation possède un système d’exploitation culturel, un Cultural Operating System qui lui permet de relier ses récits internes au monde qui l’entoure.
Ce COS n’est pas une “valeur d’entreprise”, ni une « mission » : c’est un écosystème vivant de comportements, de décisions et de symboles en interaction permanente avec les croyances et modes de pensée individuels et collectifs des individus et groupes en interaction avec l’entreprise.
Il permet :
- de filtrer les influences extérieures (régionales, politiques, générationnelles, etc.),
- de traduire des valeurs abstraites en pratiques concrètes,
- et de réguler la cohérence entre les équipes, les territoires et les récits.
Le COS n’uniformise pas : il accorde pour créer cohésion, sens et engagement collectif. Il est possible de le structurer autour de 4 dimensions principales.

Récits
Ce sont les récits que l’entreprise active et qui donnent du sens à l’action, permettant de clarifier ce que le monde est, la façon dont il est bien d’agir et dans quel périmètre. Le COS doit aider à sélectionner les récits pertinents, éviter le bruit narratif, construire une colonne vertébrale.
Surfaces d’action
Il s’agit des interfaces où la culture se crée, évolue, se joue :
- interfaces cognitives (attention, décision, communication),
- interfaces matérielles (produits, environnement, outils),
- interfaces sociales (gouvernance, rituels, management),
- interfaces symboliques (marque, esthétique).
Artefacts & pratiques
Les formes visibles, répétées, qui incarnent le modèle culturel. Les choix concrets qui révèlent la culture. Ce sont les objets, espaces, gestes, routines qui “font exister” la culture, la rendent tangible, observable, transmissible et permettent à chacun de mesurer la cohérence entre récit et réalité.
Infrastructures & gouvernance
Les structures qui portent la culture dans le temps et qui assurent que la culture ne dépend pas d’individus mais d’un système.
- organisation,
- métriques,
- process,
- outils,
- normes internes,
- systèmes de reconnaissance.
Aux 4 dimensions s’ajoutent 3 moteurs :
1 – Résonance (cohérence narrative)
La capacité du COS à créer :
– du sens partagé,
– une orientation commune,
– une adhésion non forcée.
2 – Synchronisation (cohérence opérationnelle)
Aligner les actions, rituels, décisions et interfaces avec le modèle culturel.
Mesurer la vitesse d’alignement, la friction, la fluidité.
3 – Adaptation (cohérence évolutive)
Le COS doit faire évoluer l’entreprise quand le monde change.
C’est la boucle apprentissage → ajustement → rituel → nouvelle norme.
Au total, le défi de notre époque n’est plus d’imposer un récit, mais d’apprendre à habiter la complexité et d’apprendre à faire cohabiter plusieurs modèles sans perdre la cohérence du tout.
The Aftermodernist
Composer le sens dans un monde de mondes.
Penser. Relier. Agir.

