Agir dans un monde d’interdépendances

Pour une écologie de la cohérence.
Le monde des interrelations : la fin du contrôle
Nous vivons dans un monde qui réagit plus vite que nous ne décidons.
Chaque mouvement, chaque donnée, chaque politique entre instantanément en résonance avec d’autres, pour créer un cycle sans fin de micro ou macro reconfigurations .
Le paradigme moderne du contrôle, celui du plan, de la maîtrise, ne fonctionne plus. Il reposait sur une vision stable et linéaire du monde. Un monde d’ensembles lisibles et aux frontières affirmées. La réalité contemporaine se fonde elle sur une hyperdynamique d’ensembles à la granularité extrême, limitant la prévisibilité et impliquant robustesse et adaptabilité by design.
Dans ce contexte, agir aujourd’hui ne consiste plus à imposer un ordre à un collectif (qu’il soit équipe, organisation, société, monde), mais à composer une cohérence, puis orchestrer sa régulation itérative.
Le monde comme système de systèmes
Au sein de nos frontières (enclos, maison, entreprise, pays), nous percevions le monde comme un ici et un ailleurs, un chez nous et chez autrui. Nous avons d’ailleurs construit une quantités de formes de frontières, pour ne pas avoir à vivre dans le flou, qu’elles soient SAS, Scope, ville, nation, communauté digitale, club, les frontières simplifient le réel et nous aident dans notre propre définition de soi.
Par moments, il reste confortable de penser encore ainsi, mais dès qu’on lève un peu le regard ou simplement en scrollant sur nos smartphones, on constate que le monde est un continuum, un système de systèmes, et bien qu’elle existe, la frontière représente également une construction illusoire. Cette illusion reste fragile, car les continuums n’arrêtent jamais d’exercer sur elle un ensemble de pressions.
La philosophie des systèmes vivants, que l’on pourrait décrire par l’alliance de la méréologie (les relations partie/tout) et de la symbiose (les interdépendances entre formes de vie), offre une boussole pour agir autrement. Elle nous apprend que l’intension, le pouvoir n’est pas une propriété, mais une dynamique, une circulation. Que la stabilité d’un ensemble ne vient pas de la rigidité de ses frontières, mais de la qualité de ses liens internes et externes.
L’action par couches : comprendre les niveaux d’imbrication
Dans un système vivant, l’action ne se déploie pas en ligne droite : elle s’emboîte et s’interconnecte. Chaque niveau – individuel, collectif, organisationnel, écosystémique, civilisationnel – possède sa propre logique, ses temporalités et ses feedbacks.
- La société ou la civilisation doit assurer sa soutenabilité
- L’individu pour agir doit comprendre son contexte (où l’on agit) et développer son intention.
- Le collectif doit coopérér, collaborer pour se synchroniser, expérimenter, s’adapter.
- L’organisation regroupant des ensembles de collectifs doit orchester et faciliter les flux de création d’impact.
- L’écosystème doit moduler les conditions d’interaction entre acteurs ou ensemble d’acteurs pour en assurer la performance
Agir efficacement, c’est choisir le bon niveau d’intervention et comprendre que chaque geste a des liens plus ou moins directs, voire des échos, au-delà de son échelle. Une innovation individuelle peut inspirer une transformation sociétale et inversement. L’impact devient imbriquée et multi-échelle : ce qui fonctionne à petite échelle peut nourrir le global, si la résonance est juste.
Les interfaces d’action : là où les mondes se touchent
Les grands systèmes se transforment rarement par le sommet, mais par les interfaces : là où les flux, les cultures et les matières se rencontrent.
Ces zones de friction sont aussi des zones de création.
Agir avec impact, c’est maîtriser ses capacités d’interfaçage, aux natures multiples :
- Interfaces cognitives : espaces où se régulent attention et information
- Interfaces matérielles : infrastructures et ressources
- Interfaces symboliques : récits, valeurs, cultures
- Interfaces sociales : institutions, rituels, protocoles
- Interfaces économiques : normes, réglementations
- Interfaces techniques : relation homme-machine, vivant-machine
C’est sur ces surfaces que les transformations deviennent tangibles : un débat public mieux conçu peut influencer une politique ; un design responsable peut modifier une chaîne logistique ; un événement peut réorienter un imaginaire collectif.
L’action relationnelle : apprendre à moduler plutôt qu’à diriger
Nous vivons donc dans un monde imbriqué, en rétroaction continue, ce qui nous incite à apprendre à agir autrement : non plus sur le système, mais dans le système.
L’action relationnelle repose sur cinq gestes simples :
1️Cartographier les dépendances.
2️ Identifier les surfaces d’interaction.
3️ Choisir l’échelle d’intervention la plus pertinente.
4️ Agir sur les relations, pas sur les entités.
5️ Boucler la rétroaction pour ajuster en continu.
C’est la logique de la modulation : on n’impose pas, on régule. L’efficacité dépend du niveau de résonance obtenue : combien de comportements, d’intentions ou d’énergies se mettent à vibrer à l’unisson après une action.
Les figures d’autorité classiques, héros, manager, stratège, appartiennent au monde du contrôle. Le monde d’aujourd’hui réclame des orchestrateurs de cohérence. Le leadership devient une qualité d’accord, une capacité à maintenir le lien vivant entre les parties.
La symbiose comme horizon
Cette transformation profonde de la conscience d’un tout plus palpable, mais plus complexe, à l’échelle des individus, des organisations, des systèmes techniciens, des sociétés, implique de se penser en permanence avec les autres, à l’image de la symbiose.
La symbiose n’est pas la fusion, mais la cohabitation active :
agir sans détruire, transformer sans déséquilibrer, innover sans dissocier.
C’est la nouvelle grammaire du pouvoir. Il s’agit d’une profonde transformation culturelle.
Elle exige d’apprendre à penser en termes de relations plutôt que de positions, de cycles plutôt que de lignes, d’équilibres plutôt que de conquêtes.
Vers une éthique du lien
Agir consiste donc à tisser des continuités entre ce qui semblait séparé.
Le véritable progrès n’est plus la conquête, mais la cohérence. L’action la plus intelligente sera celle qui augmente la qualité des liens dans un système. C’est cela, la nouvelle écologie du pouvoir : une capacité à générer de la résonance, à faire tenir ensemble les mondes pour y développer ses intentions.
The Aftermodernist
Composer le sens dans un monde de mondes.
Penser. Relier. Agir.

